Dans ce palais pris par les glaces du royaume d’Illyrie, le froid cède au feu des passions qui couvent sous les robes de deuil, aiguise les désirs inaccomplis qui brûlent sous le corset de la morale. C’est sous les traits de la belle Viola, jeune fille déguisée en garçon, que le désordre, finalement salvateur, se présentera. Aimée du Comte tout autant que de la Comtesse, Viola est de ces anges qui n’ont de sexe que celui qu’on leur prête… Distillant une liberté dont Clément Poirée fait son miel, Shakespeare pose avec une fantaisie inégalable des questions auxquelles notre siècle se confronte avec étonnement et violence. Mais l’amour, plus encore que la querelle des genres, mène ici la danse, dans une comédie où valsent les baldaquins et leurs romantiques rideaux, volant ses flèches et ses codes au burlesque d’un Keaton, osant le clown et la farce, le grotesque et l’extravagance. Le jeu des acteurs est à l’image de ce labyrinthe d’intrigues qui ne se laissent pas résumer, tous pris d’une folie qui sait oser bas jaunes et jarretières, look à la Johnny Depp, androgynie et travestissements, truculence et caricature. Il est rare que la drôlerie fasse bon ménage avec l’émotion, mais c’est sur ce sentier étroit que Clément Poirée a réussi sa mise en scène, tel Feste, bouffon au coeur sensible, capable de chanter la grandeur de l’amour et de ses vertiges sur un tout petit accordéon…

« Avec justesse, modestie et une grâce infinie, Poirée et sa troupe d'amoureux transis réenchantent nos nuits d'hiver meurtries. » Les Échos