« Votre nez, nous l’avons dans le nez ! » La vérité est crue et la réalité cruelle lorsqu’elle se loge au beau milieu de la figure. D’autant que notre « moche », brillant ingénieur par ailleurs, n’a pas le verbe lyrique d’un Cyrano pour glorifier ce cap, que dis-je, cette péninsule. Mais qu’à cela ne tienne, puisque la chirurgie esthétique fait des miracles : « Que l’on coupe et que l’on taille ! ». Notre moche, le voilà beau. Trop peut-être… D’une femme, en voilà vingt-cinq, on le veut, on se l’arrache. Happé par ce nouveau visage qui ne lui ressemble pas, notre homme finit bientôt par ne plus ressembler à rien. Une coquille vide que l’on copie, avec du rien autour et à l’intérieur, du rien. Quitté par sa femme, viré par son patron, à proprement parler méconnaissable, le désir de tout détruire et la tentation du suicide finissent par le gagner. Dans une scénographie au scalpel, un habile jeu de construction, tour à tour bureau d’entreprise ou salle d’opération, reçoit les images projetées de ce visage morcelé qui effraie les miroirs.  Le Théâtre à Cran livre ici une mise en scène éclairante du texte de Marius von Mayenburg, brillant dramaturge et traducteur né à Berlin en 1972, et interroge avec un humour corrosif le jeu trompeur des apparences et la dépossession de soi qui hante nos sociétés contemporaines.