Théâtre de l'intime
Une mise en scène brûlante de l’intime où l’acteur et la tension entre les êtres hantent un plateau qui tourne devant nos yeux pour mieux revenir, inéluctablement, à l’origine du drame.
Thomas Ostermeier, directeur depuis près de quinze ans de la Schaubühne de Berlin, l’une des plus prestigieuses maisons de théâtre allemandes, est sans doute le metteur en scène européen que les grandes scènes s’arrachent avec le plus de véhémence. On comprendra que recevoir sa dernière création, la première en langue française, à l’Espace des Arts, soit un événement. Monstre de travail et géant de la direction d’acteur – au sens propre comme au figuré, l’enfant terrible et surdoué mesure près de deux mètres et n’a pas quarante-cinq ans – Ostermeier poursuit depuis longtemps l’œuvre du norvégien Henrik Ibsen, auteur dont il a déjà brillamment monté Nora, Hedda Gabler, Solness le constructeur et plus récemment Un ennemi du Peuple. Pièce scandaleuse s’inscrivant dans le sillage sulfureux d’Hedda Gabler, Les revenants (1881) met en scène « l’histoire d’une famille poursuivie par des spectres, témoins d’un secret dissimulé qui hante le corps et la conscience au point de la détruire ». Si horreur il y a, elle n’est pas à chercher du côté du cinéma de genre. Ce qui « revient » ici, c’est la morale hypocrite d’une époque qui préférait enterrer la vie d’une femme – Hélène Alving, jouée par la grande Valérie Dréville – sous les convenances religieuses plutôt que d’admettre que son riche et socialement respectable mari, alcoolique et débauché, ait pu engrosser la bonne qui servait sous son toit et transmettre à son fils la syphilis en héritage. Une mise en scène brûlante de l’intime où l’acteur et la tension entre les êtres hantent un plateau qui tourne devant nos yeux pour mieux revenir, inéluctablement, à l’origine du drame. Une charge puissante contre les vieilles idées et les fables trop usées « du bonheur domestique, du retour à la nation, du retour à la religion. »