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théâtre | Création

TOUTES LES PETITES CHOSES QUE J'AI PU VOIR

Raymond Carver / Olivia Corsini

Dans ses nouvelles, Raymond Carver nous décrit l’Amérique des années 1970 et 1980, l’Amérique d’après l’âge d’or. L’ultime frontière a été franchie avec les premiers hommes sur la Lune et le dernier rêve de conquête a ainsi été atteint ; le pays libérateur de la Seconde Guerre mondiale s’est embourbé. Dans les horreurs de la guerre du Vietnam ; l’American way of life vacille et derrière l’image d’Épinal une réalité sociale plus sombre transparaît ; le libéralisme économique et la compétitivité multiplient les laissés-pour-compte ; dans les grandes villes tentaculaires et les provinces éloignées le sentiment de solitude grandit. À travers sa sensibilité littéraire, Carver témoigne ainsi des dérèglements d’humeurs et des pertes de repères que vivent ses contemporains.
La vague de spleen engendrée par une société matérialiste et déshumanisante nous atteint à notre tour. Carver, comme d’autres artistes américains de son époque, nous raconte prophétiquement la solitude de notre temps.Femmes et hommes voient leurs destins leur échapper, le sol se dérober sous leurs pieds sans avoir pu l’anticiper et leurs vies se diluer dans un quotidien aliénant.

À l’image du tableau de Edward Hopper, Nighthawks, où des grandes parois de verre laissent deviner la profonde solitude des quatre personnages qui ne se regardent pas, les protagonistes des nouvelles de Carver vivent dans leur monde fait d’objets, de lits, de téléphones, de bouteilles, telles des figurines dans un grand tableau. Les personnages comme des petites poupées restent dans des intérieurs isolés, des refuges éclairés par les lueurs des abat-jours. Chacun dans leur espace, comme autant d’ilots sans connexion entre eux. Je voudrais recréer la sensation de noyade que nous pouvons ressentir quand une fuite d’eau remplit le salon et que nous nous sentons si dépassé que l’on dirait que l’océan tout entier est rentré pour tout emporter. Je voudrais tout d’abord construire des images qui aient un impact sensoriel et émotionnel et pas seulement esthétique.
L’envie d’un projet naît d’une vision, le décor n’est pas une scénographie mais la matrice, le cadre est le moteur de l’état dans lequel je cherche à plonger les acteurs.
Carver n’avait pas le temps d’écrire de romans, sa situation économique ne le lui permettait pas de se consacrer complètement à l’écriture, il n’écrivit donc que des nouvelles courtes. En peignant ses personnages par des détails extrêmement parlants et reconnaissables, il restitue pour nous des instants clefs, des moments banals du quotidien où pourtant tout peut se jouer, où tout peut vriller. 
Sa plume décrit des femmes et des hommes avec une telle justesse qu’on pourrait se dire que lui-même a été témoin ou acteur de ces évènements. Il y a dans cette narration épurée une sorte de « solidarité entre perdants » qui fait que ces personnes nous touchent malgré leur manque de morale, d’élégance et de raison. Un acteur-narrateur, par les mots de Carver, nous amènera à la compréhension de ces êtres.

 

CONTACT : Stephanie.LIODENOT@espace-des-arts.com